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Permaculture sociale

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Qu’est-ce que la permaculture sociale ?

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On peut définir la permaculture comme l’art de concevoir des relations de bénéfices mutuels, ou synergies, souvent illustrées par les associations de plantes au jardin : « le poireau préfère les fraises », comme l’annonce le titre d’un ouvrage sur le sujet. Mais les relations entre plantes, insectes, sol, eau et micro-organismes, aussi complexes soient-elles, sont relativement faciles à traiter : nous n’avons pas à nous demander si ce poireau en particulier tient rancune à cette fraise-là, à cause d’un commentaire déplacé que celle-ci lui aurait adressé. Ni à craindre que, de par son éducation, ce poireau refuse catégoriquement de traiter avec les fraises de certaines variétés...

 

Les relations humaines sont autrement plus complexes. Nous avons chacun nos propres besoins et objectifs, ainsi que des façons de communiquer, des histoires de vie et des visions du monde qui nous sont personnelles. Éduqués dans une culture individualiste, nous avons de grandes difficultés à établir des relations de coopération : c’est le fameux PFH, « précieux facteur humain » ou trop souvent « p… de facteur humain », qui condamne à l’échec tant de projets collectifs.

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Comment la permaculture - qui a commencé comme une façon de considérer l’agriculture et la gestion des terres – peut-elle contribuer à faciliter les relations humaines? L’intérêt essentiel de la permaculture sociale est que plutôt que d’essayer de changer les individus, nous pouvons concevoir des structures sociales qui favorisent des schémas bénéfiques de comportement humain. Tout comme, dans un jardin, nous pouvons pailler pour limiter les adventices et favoriser les bactéries bénéfiques du sol, dans les systèmes sociaux, nous pouvons essayer de créer des conditions propices à des relations saines, équitables, joyeuses et constructives.

 

S’ouvre alors une voie passionnante de réflexion et d’expérimentation : et si nous reconsidérions nos relations humaines à la lumière de ce que nous savons du vivant ? Et si nous envisagions nos structures sociales comme des écosystèmes, en nous inspirant de ce que nous savons du fonctionnement de ceux-ci ?

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Bill Mollison et David Holmgren, les fondateurs du concept de la permaculture, ont dégagés une série de principes de l’étude attentive du fonctionnement des écosystèmes. Ces principes constituent l’inspiration de tout design permaculturel : leur application nous apporte des gages de pérennité pour notre système, qu’il s’agisse d’un jardin, d’une ferme ou… d’un groupe humain. Rien ne nous empêche donc de les appliquer à nos systèmes sociaux, en ce qu’ils ont de visibles et surtout d’invisibles : nos structures d’organisation, de communication, de prise de décision et de mise en action.

 

Plus notre compréhension du fonctionnement d’un écosystème avance au niveau scientifique, plus nous nous émerveillons de la subtilité que peuvent prendre les formes de communication, d’entraide et de solidarité, tant dans le règne animal que végétal – notamment grâce aux dernières découvertes sur le rôle du réseau formé par les mycorhizes. Même si le paradigme dominant de notre société reste celui de la compétition (pour ceux qui ont étudié un peu l’économie, rappelez-vous tout ce qu’on nous a bassiné sur les bienfaits de la concurrence pure et parfaite…), il existe aujourd’hui un consensus assez large sur le fait que dans la nature, les relations de coopération l’emportent en nombre sur les relations de compétition.

 

La permaculture sociale vise à instaurer, à l’image de ce que l’on observe dans la nature, des relations de coopération au sein de nos structures humaines. Mais pour que la coopération ait lieu, il ne suffit pas de rassembler tout le monde autour d’une table ; ce qui reviendrait à planter mon plant d’aubergine au milieu de la forêt en lui souhaitant bonne chance. Dans la nature, les relations de compétition existent : si je ne protège pas mes jeunes plants potagers des limaces ou mon jeune arbre fruitier de la concurrence des graminées, il me sera quasiment impossible de récolter des fruits. De même, les rapports de force dans les structures sociales sont une réalité : les nier revient à donner un aval tacite aux dominants, à ceux qui tirent le plus grand profit d’un déséquilibre dans la répartition du pouvoir.

 

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En permaculture sociale, on s’intéresse dans le détail aux structures d’exercice du pouvoir et aux conflits qui en découlent. Les conflits ne sont pas antinomiques de la coopération : bien au contraire, ils sont au cœur de la mécanique du faire-ensemble. Comme le rappelle Diana Leafe dans son livre « Vivre autrement », la majorité des conflits qui se déclarent dans un groupe surgit de la répartition déséquilibrée du pouvoir, défini comme « la capacité d’une personne ou d’un sous-groupe à influencer d’autres personnes ». Elle souligne le fait que la répartition de cette capacité est presque toujours déséquilibrée, selon les différences dans les aptitudes à communiquer ou dans l’accès à l’information, ou encore les inégalité des rôles et des moyens (financiers ou autres). Et ce, même dans les groupes autogérés, dans lesquels pourtant tout le monde s’accorde sur des principes d’égalité !

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Heureusement, ces déséquilibres dans l’exercice du pouvoir ne sont pas une triste fatalité : ils peuvent être grandement réduits par l’application d’un mode de gouvernance participatif, des méthodes de prise de décision qui répartissent le pouvoir également et qui incluent des freins et des contrepoids pour contrer les abus, et enfin par un apprentissage continu pour que tous les membres du groupe développent leurs aptitudes relationnelles. Ce sont toutes ces méthodes et compétences que promeut la permaculture sociale, afin de fournir des moyens concrets pour établir une structure sociale coopérative.

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L’expérimentation est au cœur de la méthode permaculturelle, dans tous ses champs d’application. Dans le domaine agricole, la permaculture nous fournit des outils d’analyse de notre situation particulière et de notre contexte pédoclimatique (sol et micro-climat), afin de déterminer quelle sera la technique la plus appropriée à nos objectifs et nos contraintes. De même, en matière de structure sociale, la permaculture nous invite à analyser, nous informer et expérimenter pour trouver le mode de fonctionnement qui conviendra à notre groupe. Nous pouvons nous inspirer de multiples formes d’organisation sociale cohérentes avec les principes éthiques permaculturels : sociocratie, outils de gouvernance partagée La boîte à outils est riche et variée.

 

De même, il est impensable d’établir des synergies entre les différents membres d’un groupe sans porter une attention toute particulière à la communication : la Communication Non-violente (CNV) peut nous être d’une aide précieuse dans ce processus. A condition bien sûr que l’intention de base soit bien celle d’établir une synergie, en quête d’un bénéfice mutuel ; dans un contexte d’asymétrie de pouvoir, la CNV peut aussi être détournée de son intention d’origine et devenir un redoutable outil de manipulation… La panacée n’existe pas : chaque outil, chaque technique possède ses forces et ses limites. Tout l’enjeu est de savoir dans quel contexte appliquer quel outil. Aucune méthode n’est à appliquer à la lettre, chaque groupe doit trouver – ou créer - celle qui lui convient.

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La permaculture sociale comme voie de transformation personnelle et collective

 

Face à une situation mondiale qui nous pousse trop souvent à la résignation et à la passivité, la permaculture sociale est une invitation à l’entraide pour agir sur le monde, avec justesse, humilité et détermination. Si notre société ne va pas bien, il est difficile de nous en innocenter totalement. Mais si nous faisons partie du problème, nous faisons aussi partie de la solution : pour éviter de choisir entre l’auto-flagellation et le déni, nous pouvons identifier nos marges de manœuvre pour concevoir et mettre en œuvre la société dont nous rêvons. Concevoir et mettre en pratique des structures sociales plus justes, des schémas d’organisation collective dans lesquels chaque individu, en lien avec tous les autres, renoue avec son pouvoir d’agir.

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Marguerite de Larrard

Pour expérimenter la méthode

et les outils de la permaculture sociale,

participez à un stage!

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Pour approfondir

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Ci-dessous, deux articles pour approfondir la permaculture sociale:

  • Permaculture sociale et développement personnel

  • La méthode de design permaculturel: une approche d'éducation populaire

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Permaculture sociale et développement personnel

 

Au sein de la mouvance permaculturelle, de nombreuses approches s’inspirent de méthodes de développement personnel, afin de « prendre soin des humains ». Cela ne manque pas de susciter des controverses, surtout dans les milieux les plus militants qui s’alarment – à juste titre - de la tendance actuelle qui revient à individualiser ce qui pose un problème social, pour éviter une remise en question de la société.

Posons-nous donc la question : dans une optique permaculturelle, chacun est-il responsable de bonheur ?

 

La permaculture nous enseigne à multiplier les échelles d’approche : dans l’étude d’un écosystème, on peut considérer une multiplicité d’écosystèmes inclus, contenus, dans un écosystème plus global. Par exemple, notre intestin est un écosystème, avec sa communauté de milliards de bactéries appartenant à plusieurs centaines d’espèces différentes, toutes en interaction dans un équilibre dynamique ; il fait lui-même partie de l’écosystème « corps humain » puisqu’il entre en interaction avec une multiplicité d’autres systèmes (limbique, nerveux, etc.) ; notre corps tout entier s’inscrit dans un écosystème plus global composé par le milieu qui nous entoure ; et ainsi de suite, jusqu’à l’écosystème Terre – et même au-delà.

 

De même, en permaculture sociale, il est impossible d’appréhender le « corps social » (la « zone 6 ») qu’est notre communauté humaine sans multiplier les échelles d’approches, des différents groupes sociaux (famille, institutions, groupes informels etc.) à l’être humain lui-même. Ce focus plus individuel se nourrit des apports de différentes disciplines telles que la neurobiologie ou la psychologie, nous entraînant vers le terrain glissant des méthodes dites de « développement personnel ». D’ailleurs, le 2ème principe éthique de la permaculture, tel qu’il a été défini par ses fondateurs, ne nous invite-t-il pas à « prendre soin des êtres humains »?

 

Oui, mais pas que : la permaculture est une approche holistique, nous invitant à maintenir une perspective globale. Même quand il s’agit de prendre soin de l’humain, il s’agit aussi de prendre soin de l’écosystème Terre dans lequel s’inscrit l’humain, en équilibre avec tous les autres éléments. Et notamment, en équilibre avec tous les autres êtres humains : le 3ème et dernier principe éthique stipule d’ailleurs un « partage équitable des ressources ». Une équité donc, qui pose une indispensable limite au déploiement infini de l’appétit humain.

 

Cette éthique manque trop souvent aux approches de développement personnel : en plaçant l’épanouissement individuel au cœur de leurs méthodes, elles sombrent facilement dans un paradigme individualiste qui gomme toute perspective globale de répartition des ressources. Et ce avec le postulat que si chacun est véritablement réalisé, aligné avec lui-même, que si chacun déploie tout son potentiel, il atteindra un équilibre qui sera nécessairement bénéfique à l’ensemble. Personnellement, rien ne me semble avérer la véracité de ce postulat. De même que la coccinelle, la fougère ou la mycorhize, l’épanouissement de l’être humain ne peut être pensé en dehors de son ensemble, du système dans lequel il s’insère, en interaction avec le reste du vivant. Tout focus sur l’épanouissement individuel qui ne prendrait pas en considération l’ensemble de ces interactions est par conséquent aussi limité que potentiellement dangereux du point de vue de la justice sociale.

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Pour être plus explicite, prenons prendre l’exemple d’une entreprise dans laquelle opèrent des femmes de ménage payées au salaire minimum, qui exercent leur activité dans des conditions difficiles, selon des horaires variables et qui n’ont pas accès à la même salle de repos que les autres salariés de l’entreprise, sinon à un minuscule local situé au sous-sol du bâtiment. Une approche de développement personnel qui ne prendrait en compte que d’un point de vue strictement individuel l’épanouissement d’une de ces femmes de ménage et celui du DRH de l’entreprise, en mettant dans les mains de chacun la pleine responsabilité de son bonheur, occulte l’énorme différentiel de moyens dont chacun dispose. Comme on dit dans les milieux féministes : qui fait le ménage chez la femme de ménage pour qu’elle puisse aller suivre son cours de musique ?

 

Selon l’éthique permaculturelle, l’épanouissement des uns ne doit pas pouvoir se faire au détriment de celui des autres. Et surtout, l’épanouissement de certains nécessite une coopération, une action de groupe (syndicale ou autre) qui va au-delà de l’action individuelle. Si chacun est responsable de son bonheur, cette responsabilité passe aussi par un engagement dans le collectif, une prise en compte de la structure sociale et de ses rapports de force.

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Marguerite de Larrard

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Manifestation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis à Clichy

La méthode de design permaculturel: une approche d'éducation populaire

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Si les applications les plus connues de la permaculture relèvent du domaine agricole, sa méthode peut s’appliquer à presque tous les domaines de l’activité humaine. Et cette méthode, dans ses applications sociales, présente de nombreux points communs avec les processus d’éducation populaire.

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La permaculture sociale nous invite d’abord à une observation la plus exhaustive et la plus rigoureuse possible de notre structure sociale, à son étude et à son analyse. Toutes les informations issues de cette observation nous permettront, dans un deuxième temps, de concevoir une nouvelle structure ou d’aménager l’existante (le design), afin d’assurer non seulement la pérennité de la structure sociale dans le temps, mais aussi sa cohérence avec les principes éthiques permaculturels: prendre soin de de la Terre, prendre soin des humains, assurer une répartition équitable des ressources.

 

La méthode permaculturelle propose ainsi une séquence (souvent dénominée OBREDIM) dans laquelle on peut distinguer trois temps :

1. observation et analyse de l’existant ainsi que des ressources disponibles ;

2. design (ou conception) d’un nouveau système qui comble nos besoins en cohérence avec notre éthique ;

3. passage à l’action et maintenance du nouveau système.

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 Cette approche est aussi celle de l’éducation populaire : par exemple, on retrouve une séquence proche de l’OBREDIM dans la démarche de Paulo Freire. Ce pédagogue brésilien, connu pour ses programmes d’alphabétisation militante dans les années 1970, défendait la nécessité d’apprendre à lire (notre réalité) afin de pouvoir écrire (agir sur notre réalité).

 

On retrouve encore la même séquences dans le théâtre de l’opprimé d’Agusto Boal, notamment lors d’un théâtre-forum : observation et analyse d’une situation d’oppression par les spect-acteurs, puis conception de stratégies (via l’expérimentation), toujours au service de l’action future. Comme le disait Agusto Boal, le théâtre de l’opprimé est l’étude, l’analyse et la « répétition générale de la révolution ».

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Dans la phase d’analyse, les apports de la sociologie et de la psychologie sociale sont précieux pour mieux comprendre nos structures sociales et les déterminations de nos comportements. Comme l’expliquent les auteurs du blog www.hacking-social.com, il s’agit d’ « identifier, comprendre, et détourner des structures sociales nuisibles aux individus et aux groupes (...) Pour le dire autrement, le hacking social consiste à modifier son environnement social via des expérimentations, des actions ou des attitudes réfléchies ». C’est bien ce qu’entendait Bill Molison, quand il définissait la permaculture comme « une observation prolongée et réfléchie, au lieu d’une action prolongée et irréfléchie »... 

 

"Au travers des processus d’éducation populaire, il s’agit, individuellement et collectivement, d’affirmer sa dignité, de s’auto-éduquer, de prendre conscience des rapports sociaux et de construire une force collective, apte à imaginer et à agir pour la transformation sociale." (https://www.education-populaire.fr/definition)

La permaculture sociale poursuit le même objectif : face à une situation mondiale qui nous pousse trop souvent à la résignation et à la passivité, elle nous invite à l’entraide pour agir sur le monde.

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Marguerite de Larrard

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